Un brillant élève
Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay (1651-1690), fils aîné du grand ministre de Louis XIV, était désigné pour succéder à son père dans toutes ses charges. Recevant une éducation soignée, digne des princes de la famille royale, il entra au collège de Clermont (actuel lycée Louis-le-Grand) et acheva ses premières années de formation par la soutenance, en 1668, d’une thèse de philosophie. Le futur ministre en apprentissage visita ensuite tous les ports de France, afin de se préparer aux affaires de la mer et d’assumer, un jour, la charge de secrétaire d’État à la Marine.
Il se rendit également en Italie à la demande son père, où il eut l’occasion de compléter sa formation artistique. Dans ses instructions, Colbert lui recommanda de visiter l’Académie de France à Rome, de s’entretenir avec le cavalier Bernin, de demander la compagnie d’un peintre pour lui donner à « dessiner ce qu’il trouvera de beau dans son voyage », d’écouter attentivement les discours qu’on pourrait lui tenir sur l’architecture, la peinture et la sculpture. Conscient qu’il choisirait peut-être un jour des œuvres au nom du roi, Seignelay suivit scrupuleusement ces conseils, exerça son œil autant qu’il fut possible, au point de constituer sa propre collection d’œuvres d’art !
Seignelay, bourgeois…gentilhomme !
Colbert songea, dès 1671, à marier son fils et rechercha le meilleur parti. Il jeta son dévolu sur Marie-Marguerite d’Alègre (1660-1678), entreprenant de longues négociations avec le tuteur de la jeune femme. Celui-ci rechigna d’abord à céder au ministre qui s’était élevé par la fortune, mais n’était ni plus ni moins qu’un roturier. Le titre de noblesse que Colbert avait cédé à son fils aîné était, il est vrai, lié à la terre de Seignelay, acquise en 1657 et érigée en marquisat par la grâce du roi en 1668 ! Louis XIV dut à nouveau intervenir en faveur de son fidèle serviteur pour contraindre l’orgueilleux marquis d’Alègre à consentir au mariage, qui fut célébré le 8 février 1675. La mort en couche de l’épousée réduisit toutefois à néant ce premier coup d’éclat.
Colbert se mit aussitôt en quête d’une nouvelle prétendante. Son choix se porta sur une demoiselle à l’ascendance encore plus éminente : Catherine-Thérèse de Goyon de Matignon-Thorigny (1662-1679), noble et de sang Bourbon, dont la « grandeur de [la] naissance » n’était un mystère pour personne. Les mieux informés savaient que « du côté paternel », on pouvait « compter dans sa Maison cinq ou six Chevaliers de l’Ordre » et « que du côté maternel », elle avait « l’honneur d’avoir eu pour Aïeule Eleonor d’Orléans, princesse de la Maison de Longueville », qui était la fille d’une « tante d’Henri IV ». Ce mariage contre-nature de deux familles, dont l’ordre social exigeait qu’elles ne se mêlassent pas, suscita bien des sarcasmes à la cour. La Grande Mademoiselle, cousine de Louis XIV, ironisa, parmi d’autres, sur la vanité des Colbert, fils et petit-fils de marchands, qui avaient désormais l’honneur d’être « proches parents du roi ».
Le sang Bourbon vaut bien une grande fête !
La célébration du second mariage du marquis de Seignelay eut lieu le 6 septembre 1679. La fête qui suivit « fut des plus pompeuses », à la hauteur du triomphe des Colbert. Elle se tint à Sceaux, dans la « maison des champs » du ministre d’État, et occupa une journée entière. Colbert ne fit l’économie d’aucune dépense et reçut somptueusement les parents de sa belle-fille. Les réjouissances furent telles que le rédacteur du Mercure Galant -la presse mondaine de l’époque !- donna avec gourmandise le détail de « tous les plaisirs » qui accompagnèrent « cette grande Feste », achevant son récit par la présentation des principaux convives, afin de bien souligner la valeur de l’événement.
Le lundi 11 septembre, Colbert « alla attendre » ses hôtes, qui arrivèrent dans « neuf carrosses à six chevaux ». Cette compagnie trouva « dans la magnifique Réception qui lui fut faite avec un ordre admirable, que jamais personne ne sçeut mieux que [Colbert] faire les honneurs de sa Maison. » Les divertissements débutèrent le lendemain par « une excellente musique » de Claude Oudot, fameux compositeur attaché à l’Académie française, dont chacun sortit « très-satisfait ». Le dîner fut ensuite donné au son de vingt-quatre violons et suivi d’ « un petit Opéra en Musique » chanté au pavillon de l’Aurore, représentant « les Amours de cette Déesse & de Titon. »
La compagnie déambula plus tard dans les allées du jardin tracé par Le Nôtre et découvrit les beautés de la maison de Sceaux. On l’emmena « sur la grande pièce d’eau en octogone », où elle « embarqua sur trois petites Galères peintes & parées magnifiquement ». Le ministre lui fit ensuite « voir l’Orangerie » du château, puis entraîna à nouveau ses convives dans les jardins, avant de les ramener « au mesme lieu » où ils furent « extraordinairement [surpris de] voir un Théâtre tout dressé, une fort belle Décoration, des Lustres allumez, & des Sieges pour une grande Assemblée. » L’enchantement fut complet lorsque les comédiens de la Troupe du roi firent leur apparition et donnèrent le Mithridate de Jean Racine (1639-1699).
Spectacle de feu…comme à Versailles !
Après la comédie, on servit le souper dans une grande salle, d’où l’on vit, à l’issue du repas, « un Feu d’artifice le plus beau & le plus agréable qui ait esté veu depuis fort longtemps. » Colbert voulut à l’évidence impressionner ses invités par un divertissement d’une grande nouveauté. Il s’en remit, pour cela, à un certain Gervais, qui avait fait des épreuves de fusées d’eau de son invention devant le Roi, « avec toute la satisfaction qu’il en pouvait souhaiter. » Le dénommé Gervais se fit alors remarquer pour avoir « fait seul le feu de Sceaux » et fut, quelques jours plus tard, l’un des maîtres d’œuvre des feux donnés pour la cérémonie du mariage de Marie-Louise d’Orléans (1662-1689), nièce de Louis XIV, désormais reine d’Espagne.
Deux Corps de Feu, « l’un d’air, & l’autre d’eau » furent dressés à Sceaux. L’un, comme on le devine, propulsé dans l’air, et l’autre, brûlant sur l’eau et dans l’eau. Le premier feu parut « dans un fond, hors les jardins du Chasteau » et le second, « dans le Jardin sur le bord du Canal », qui désignait à cette époque le bassin rectangulaire des grands parterres.
Le feu d’air occupa quatre lignes de six caisses de fusées de différents diamètres et une cinquième ligne où était « une Girande de 36 douzaines de Fusées » assemblées en faisceau. A côté de ces caisses, on plaça « cent douzaines de pots-à-feu qui tiraient avec toutes les Fusées, & derrière le feu, plusieurs chevalets où estoient posées 36 grosses Fusées d’honneur » que l’on tira « trois à trois ». Le feu d’eau était « composé d’une Pyramide de vingt-six pieds de haut sur seize de large [soit environ 8,45 x 5,20 m] », à laquelle on avait attaché quinze soleils, ces artifices que l’on rangeait autour d’un centre en rayons pour évoquer la lumière radieuse de cet astre. Derrière la pyramide, il y avait une « autre Girande » de plusieurs douzaines de fusées « doubles Marquises », autrement dit du plus gros calibre, qui vinrent encore augmenter l’embrasement.
La splendeur des Colbert
Les deux familles demeurèrent à Sceaux jusqu’au mercredi, puis se rendirent à Paris et se séparèrent « avec une égale satisfaction de ce Mariage. » La faveur extrême des Colbert éclata encore au lendemain de cette fête somptueuse, lorsque le marquis de Seignelay se rendit à Fontainebleau, avec son épouse et sa mère, et vit le roi. Celui-ci « luy fit [alors] connoistre avec beaucoup de témoignages obligeans que cette alliance lui estoit fort agréable. » Secondant son père dans les affaires de la mer, Seignelay prit ensuite, sur l’ordre du souverain, la route de Provence « pour y remplir les devoirs de sa Charge dont il s’acquitte avec la plus parfaite application »…
David Beaurain, Chargé de recherches et d’études au musée du Domaine départemental de Sceaux